Un retour très attendu au Festival de Cannes

Quatre ans après la Palme d’or qu’elle confiait à Titane, Julia Ducournau fait son grand retour en compétition officielle à Cannes avec Alpha. Le film, réalisé et scénarisé par la cinéaste, dévoile désormais une nouvelle facette de son univers, plus grave, à fleur de peau, et pourtant toujours transgressif.

Alpha : synopsis et contexte émotionnel

Une adolescence hantée par la peur et le silence

Nous sommes à la fin des années 1980. Alpha, adolescente de treize ans, vit seule avec sa mère médecin. Un jour, elle revient de l’école avec un tatouage sur le bras et le monde bascule. La peur d’une infection par un mystérieux virus hématogène, que l’on comprend comme une allégorie du sida, enveloppe la famille. La société fuit, stigmatise. Le frère d’Alpha, Amin, tronçonneur toxicomane et séropositif, incarne la terreur collective, tandis qu’Alpha incarne la fragilité de l’innocence menacée.

Le body horror comme miroir intime

Fidèle à son esthétique viscérale, Ducournau impose cette fois un cinéma plus introspectif, moins outré, mais tout aussi dérangeant. Le corps d’Alpha devient paysage de l’effroi, tandis que la peur contagieuse du sida, non nommée, hante chaque plan. Entre mélancolie et dégoût, Alpha ose ce que peu osent : dire sans mots ce que l’époque tait.

Un casting puissant au service d’une émotion brute

Figures filiales exacerbées

Mélissa Boros porte le film avec une étrange pudeur, incarnant Alpha dans sa fragilité et sa rage intérieure. À ses côtés, Golshifteh Farahani compose une mère ravagée par l’angoisse, tandis que Tahar Rahim — méconnaissable — incarne Amin, séropositif et affaibli, qu’il interprète après avoir perdu vingt kilogrammes pour le rôle.

Un casting pensé pour creuser l’intime

Emma Mackey apparaît en infirmière mystérieuse, tandis que Finnegan Oldfield donne corps à un professeur d’anglais troublé. Chaque rôle, même secondaire, participe à cette galerie d’affects extrêmes, traversée par la culpabilité, l’amour filial et le silence meurtrier des années sida.

Production et parti pris artistique

Un tournage ancré en Normandie

Le tournage s’est déroulé en automne 2024, principalement au Havre, avec une escale marquante dans une piscine publique des années 80 à Pont-Audemer. Une trentaine-cinq jours ont été consacrés à la Normandie, avant de terminer à Paris. Cette reconstitution minutieuse d’époque sert le récit comme un décor psychologique.

Un film intime, profondément lointain

Distribué en France par Diaphana, avec FilmNation et Charades à l’international, Alpha se présente comme l’œuvre la plus personnelle de Ducournau. Entre mémoire personnelle et allégorie collective, elle confie une œuvre qui porte les cicatrices de son adolescence, empreinte de silence et de peur.

Multiples lectures, critiques divisées

Une réception contrastée à Cannes

Alpha a suscité des réactions passionnées — certains critiques l’accusant de narration désordonnée et d’émotivité surchargée, d’autres saluant sa puissance symbolique et sa dimension de futur film culte. Télérama fustige les facilités, tandis que Vogue y voit une œuvre singulière, poétique et dérangeante.

Une œuvre de rupture

Entre ambition et maladresses, Alpha ne ressemble à rien d’autre. C’est un corps filmé, un trauma incarné — une expérience plus qu’une narration continue. Une pièce transgressive pour un cinéma en mutation.

Après Cannes, en route vers Sitges

Après la Croisette, Alpha inaugurera le Festival de Sitges en tant que film d’ouverture, devenant seulement la troisième réalisation signée par une femme à recevoir cet honneur, à travers un genre mêlant horreur, humour noir et body horror transgressif dans un monde dévasté.

Alpha est bien plus qu’un film attendu : c’est la suite courageuse de la trajectoire de Julia Ducournau, entre audace formelle, charge affective et courage politique.